Quand Mylène Farmer prête sa voix au film Dalloway, et déclare que “l’IA n’a pas d’âme”, ce n’est pas seulement une formule polémique : c’est un rappel. Elle pointe avec justesse ce qui distingue fondamentalement l’intelligence artificielle de l’intelligence humaine : la première génère des formes à partir de probabilités, la seconde vit, ressent et choisit. Cette distinction n’est pas anecdotique. Elle éclaire le rôle de l’humain dans un monde où l’IA s’impose comme un outil créatif omniprésent.
L’IA ne crée pas, elle calcule. Ses modèles recombinent des milliards de données pour produire des images, des sons ou des textes vraisemblables. Elle peut simuler un style, varier une forme, amplifier une idée. Mais elle ne sait pas pourquoi une image bouleverse, pourquoi un silence vaut plus qu’une phrase, pourquoi une imperfection suscite l’émotion. Elle ignore la mémoire, l’intuition, la contradiction. C’est précisément ce qui fait de l’IA un outil complémentaire, et non un rival.
Dans mon propre travail artistique, cette asymétrie est centrale. Lorsque je conçois la série Door to Infinity, ce n’est pas la machine qui imagine une ouverture métaphysique vers l’horizon. C’est mon intention de confronter l’observateur à un espace de passage, à l’expérience du vide et de la lumière. L’IA, ici, ne fait que multiplier les variations possibles ; elle est un prisme, pas une finalité.
De même, pour Now What, ce n’est pas l’algorithme qui décide qu’une petite fille puisse incarner à la fois la vulnérabilité et la puissance intérieure. C’est mon choix de retenir ce paradoxe, de le mettre en scène, de l’assumer comme une tension universelle.
On me demande souvent où se situe ma part d’intuition dans ce processus. Elle est partout : dans la définition initiale d’une émotion à traduire, dans le tri minutieux parmi des dizaines (et parfois centaines !) d’itérations avec la machine et de propositions générées, dans le geste final qui consiste à retirer, cadrer et signer. L’IA n’a pas d’âme, mais sans intuition humaine, elle n’a pas de sens non plus. Elle expose nos manques autant qu’elle ouvre des possibles. Elle nous oblige à préciser ce que nous voulons dire, à distinguer l’ornement du message, la joliesse de l’émotion.
On me demande aussi si l’IA menace la créativité humaine. La réponse est claire : non. L’IA ne menace pas, elle révèle. Elle révèle l’absence d’intention, les automatismes, la paresse créative. Elle fait tomber les faux-semblants : si vous n’avez rien à dire, l’IA ne le dira pas pour vous. Mais si vous avez une vision, elle peut en accélérer l’expression et en démultiplier la portée.
Ce que la phrase de Mylène Farmer nous rappelle, c’est qu’il n’y a pas de concurrence. L’IA ne sera jamais habitée. Elle ne ressentira jamais ce qui traverse un public lors d’un concert, ni ce qui se joue dans le regard silencieux d’une œuvre. C’est là que réside la valeur de l’humain : dans l’intention, dans l’intuition, dans l’âme. L’IA, utilisée avec exigence, devient alors un miroir, un amplificateur, un révélateur. Mais elle ne remplacera jamais la densité d’un vécu.
Le vrai enjeu n’est pas de savoir si la machine deviendra artiste. Le vrai enjeu est de savoir si nous saurons, face à la vitesse et à la puissance de l’IA, cultiver ce qui nous rend singuliers : notre capacité à ressentir, à arbitrer, à assumer des choix qui dépassent le calcul. L’IA n’a pas d’âme, et c’est précisément pour cela qu’elle nous oblige à cultiver la nôtre.
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